L'exilé Djavad Dadsetan A tous les exilés dumonde
C'était encore l'aurore et la brise fraîche caressait les pieds de l'homme qui dépassaient le drap. L'homme s'est tourné, a soulevé son bras et a regardé sa montre. Il avait envie de dormir plus, et ne voulait pas sortir du lit. Mais quand il a entendu le réveil sonner, il a enlevé le drap et il a presque sauté sur le réveil qui avait déjà réveillé tout le monde Sa femme l'appelait dans son demi sommeil " Tu dors encore Hassan ? Lève-toi. Tu étais sensé te lever à quatre heures et demi. Tu vas perdre encore ton boulot. " L'homme a répondu " Arrête, je suis réveillé. J'étais réveillé à trois heures. Ce n'est pas possible de dormir ; j'ai trop de problèmes. Je voulais me lever à trois heures, mais je me suis dit peut-être je pourrai dormir un peu plus, mais ce n'était pas possible. " II a mis la bouilloire sur le feu et lui a demandé gentiment de préparer le thé, et il est allé se laver et se raser. Quand il s'est regardé dans le miroir, il a fermé les yeux un instant de fatigue et de manque de sommeil, et quand il a ouvert les yeux il a pu voir les rides sur tout son visage. Il a pu constater comment son visage a changé depuis trois ans, depuis qu'il a commencé dans ce pays étranger des petits boulots comme plongeur, l'homme à tout faire dans les restaurants. Tout ce qui était resté de ses cheveux était gris. Il a regardé ses mains. Elles étaient rudes et fendues partout, moches comme les mains des fabricants de briques. Il devait partir au boulot avant d'être en retard comme hier où il avait raté le bus de cinq heures. Si cela arrivait, il serait obligé de prendre le bus de six heures et d'arriver une heure en retard à son boulot, et perdre peut-être son travail. Il n'avait pas envie que cela arrive, parce qu'il avait l'impression que ce nouveau boulot n'est pas trop dur. Donc il ne voulait pas donner un prétexte au patron du restaurant. L'ancien boulot était plus dur et plus fatiguant. Il fallait balayer tous les jours le restaurant qui était très grand, faire la vaisselle de la veille, trancher le pain, couper le beurre et mettre les morceaux de façon ordonnée sur un plateau, préparer le café, et s'il ne restait pas autre chose à faire, il devait laver les verres d'alcool, les essuyer et les mettre sur l'étagère pour que cela soit facile d'accès. C'est ce qui lui a vallu d'être fichu dehors de l'ancien boulot. Le dernier jour, il avait préparé une quarantaine de verres sur un grand plateau ; il s'est heurté à une table et tous les verres sont tombés et se sont cassés. Le nouveau restaurant était tout petit et ne vendait pas d'alcool. Il y avait le patron mexicain du restaurant, sa femme et Hassan. Tout allait bien, et si il ne perdait pas le bus, à ce nouveau boulot les repas étaient gratuits et le travail était moins. Il a entendu la voix angoissée de sa femme Hassan, ne sois pas en retard ! Il n'a pas répondu. Il a recommencé à réfléchir en se peignant les cheveux.Il s'est rappelé du jour où ils ont vendu leur maison et ont donné l'argent aux passeurs pour les aider à traverser la frontière pakistanaise. Il était prêt à payer même plus pour fuir l'enfer qu'ils lui avaient construit. Quand ils ont traversé la frontière, le reste de l'argent qu'ils avaient économisé a été utilisé pour acheter des billets d'avion pour arriver dans ce pays étranger. Leur maison n'était pas grande mais ils avaient travaillé dur pour l'avoir. La vendre pour tellement peu d'argent lui faisait mal. La maison était le résultat de vingt ans de travail acharné. Il s'est rappelé des jours où il regardait les petites annonces pour les maisons pas chères, et dès qu'il en avait vues, il s'était défoncé pour préparer ce qu'il fallait pour la partie à payer au comptant. Il avait mis en gage deux tapis et les bijoux de sa femme et vendu leur voiture pour acheter la maison. Dès qu'ils ont emménagé dans la nouvelle maison, il a commencé à donner cinq heures de cours particuliers par jour. Il y avait aussi leurs deux enfants de cinq et de trois ans. Sa femme, bien qu'elle soit d'une famille riche, ne s'intéressait pas à acheter quoi que ce soit pour elle-même. Mais quand même il fallait de l'argent pour les dépenses quotidiennes. Même si ils étaient cousins germains et s'aimaient depuis leur enfance, il ne pouvait pas ne pas entendre ses plaintes maternelles. Les jours de manifestations sont arrivés et ses élèves sont allés manifester ; les cou particuliers sont devenus de plus en plus rares. Il débattait avec ses élèves en leur disant qu'il n'y a pas de résultat à ce genre de chose. Ce n'était pas pour soutenir le régime, mais c'était surtout pour sauver la petite somme qu'il gagnait de ses cours particuliers. Mais quand il n'y a pas d'école et d'examens, réfléchir aux cours particuliers est ridicule. Il s'est énervé pendant toutes les manifestations. Tout était fichu. Les derniers jours des événements, le père de sa femme Mansoureh, est décédé. Le beau père était contre les événements, et quand il voyait ses amis pousser les adolescents à manifester, il s'énervait. Y compris, il n'aimait pas le comportement de son père, un moiïa très connu. Il insistait toujours pour que ses deux enfants et sa femme restent patients. Hassan était d'accord avec lui. Enfin, les débats avec ses élèves qui étaient devnus révolutionnaires, lui ont causé des problèmes. Il a été arrêté et mis en prison comme contre-révolutionnaire. Il se demandait pourquoi le beau-père n'est pas là pour voir qu'il avait raison. Lui qui n'était allé à aucune école mais qui savait par cœur l'histoire de l'Iran, qui prévoyait l'avenir sur la base de son expérience et sa vision impartiale ! Non, il n'était pasl'ennemi de dieu et de son prophète non plus sinon il ne serait pas devenu Hadj. Lui qui, dès le début, était pour séparer la religion de l'Etat, et qui ne soutenait pas le régime d'alors non plus, avait travaillé pour gagner sa vie et n'avait pas hérité de son père très riche. Quand il est mort, il a laissé son héritage à ses deux enfants, Mansoureh et Mahmoud qui était médecin. Mansoureh a payé avec sa part toutes les dettes qu'ils avaient. Son père vivant, voulait bien les aider, mais Hassan ne voulait pas. Il aimait beaucoup son beau-père, mais ne voulait jamais lui demander de l'argent. Même le jour où il a voulu mettre ses tapis en gage, pendant un moment il a pensé à son beau-père, mais sa fierté a pris le dessus. Il s'est rappelé de la cérémonie d'enterrement de son beau-père, il chérissait même maintenant le souvenir de son beau- père, parce qu'il était, même illetré, parmi ceux qui arrivaient à analyser les problèmes sociaux et politiques mieux que des milliers d'intellectuels. Quand il discutait avec les gens de n'importe quel bord, il disait que l'on soit d'accord ou pas avec le régime, il ne faut pas laisser le pays aux mains des étrangers. Il avait plusieurs fois insisté auprès de sa fille d'aller finir ses études aux Etats- Unis ou en Grande- Bretagne, et qu'il allait payer tous les frais, mais Hassan n'avait pas accepté. Le beau-père avait même prévu qu'un jour rien ne tiendra et tout sera détruit. Il disait la même chose pour quitter le pays. Hassan arrivait à voir tout ce que son beau-père avait prévu. Sa mort, la mort de cet ami qui était en même temps son oncle et son beau-père et qui avait à peu près l'âge de son propre père, lui faisait très mal et lui donnait envie de pleurer. Il a entendu la voix de Mansoureh qui avait ouvert la porte de la salle de bain qu'est-ce que tu fais encore ? Ton thé refroidit et ton bus est parti !!... Il a jeté un regard à Mansoureh, est passé à côté d'elle, et a regardé sa montre. Il ne lui restait pas de temps pour arriver au bus. Il s'est rapidement habillé et a couru vers la porte. Il a encore entendu Mansoureh dire " Mais pourquoi alors tu réveilles tout le monde, mec ? " Hassan s'était habitué à tout cela, mais ce n'était pas de sa faute. C'était comme si le miroir du lavabo était spécial, il le transportait dans ses rêves. C'était comme une boule de cristal dans laquelle il pouvait voir tous ses souvenirs. Quand il a ouvert la porte, il a juste eu le temps de dire " Prépare Ali et Zohreh ce soir pour les emmener chez Me Donald ". Toutes les semaines il le faisait. Pour se divertir et pour que Mansoureh ne s'ennuie pas plus que ça, il les prenait par la main et allaient chez McDonald qui n'était pas très loin. On pouvait même y aller à pied. Ils allaient de temps en temps en bus. Il achetait un hamburger et une boisson pour les enfants et les envoyait jouer au manège. Les enfants aimaient cela. Mansoureh et lui-même s'assayaient et discutaient de l'avenir... Quand ils étaient en Iran, c'était pareil. Ils allaient au parc Royal ou sur " le pont de Tadjriche " et prenaient du plaisir à regarder les enfants jouer. Il a fermé la porte derrière lui et a couru jusqu'à l'arrêt du bus qui était à cinq minutes. Il a regardé sa montre, il n'avait que deux minutes. Il a accéléré. Maintenant il pouvait voir le bus qui s'approchait à l'arrêt. Il a suivi le bus du regard, ils'est arrêté. Il sentait son cœur s'arrêter, il devait traverser la rue. Soudain il a entendu un bruit bizarre ; une douleur lui a pris la tête et a couvert rapidement son corps. Il ne voyait plus le bus, par contre il voyait les gens qui le regardaient. Tous ses muscles étaient tendus. Il entendait de loin quelqu'un qui demandait une ambulance. Tout était confus dans sa tête. Il s'est rappelé de Mansoureh, cette femme gentille qui avait supporté toutes ces années les malheurs de Hassan. Il s'est rappelé de Zohreh et Ali qui le regardaient et qui attendaient qu'il se lève pour les emmener chez Me Donald. Leur visage était innocent. Il leur a demandé de l'aider à se lever, mais ils ne bougeaient pas et le regardaient de là où ils étaient. Il s'est rappelé de son beau-père qui a été vraiment torturé à la fin de sa vie par tout ce que les gens ont fait. Puis, il s'est rappelé encore de Mansoureh qui l'avait attendu à la sortie de la prison, Zohreh dans ses bras et Ali à ses côtés. Elle avait un regard angoissé. Il voyait ses grands yeux qui le regardaient comme si ils lui disaient de se dépêcher. Il s'est rappelé du voyage à Balouthistan. Avec quelle peur il avait traversé, avec Mansoureh et les enfants, de l'autre côté de la frontière. Derrière cette Jeep déglingue. Il y avait une autre famille iranienne. Il n'y avait que poussière. Il voyait les yeux de Mansoureh qui s'éloignaient de lui petit à petit et qui se transformaient en deux points noirs. Les gens avaient entouré Hassan plein de sang, mais on avait l'impression que Hassan ne voyait personne avec ses yeux ouverts. Un peu plus loin, le conducteur de la voiture qui avait heurté Hassan, était debout, calme, et discutait avec les autres conducteurs à propos sa voiture chère, tout ce qu'il avait payé pour l'assurance, et ces étrangers qui ne respectent pas les lois... Le ciel était bleu et le soleil du matin éparpillait sa chaleur partout.
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